CHARPY, Manuel; VERDIÈRE, Patrice; LEGOY, Corinne (eds.)
Modes Pratiques #5 : des nuits

Ce numéro est né de la place prise par le « monde de la nuit » dans la culture urbaine contemporaine – « la Night », dirait-on aujourd’hui. L’essor des « Night Studies » en témoigne. La Fée Électricité a fait reculer l’obscurité et les peurs qu’elle recelait. Des territoires de vie, des manières d’être ont émergé, avec leurs façons de s’habiller, leurs vestiaires. Les fées de la mode s’en sont mêlées. Ce numéro ne se limite pas à cette seule nuit urbaine ni aux seules tenues de soirée. Le sommeil aussi a ses vêtements et le passé ses nuits. Ainsi défile notre kaléidoscope d’époques et de personnes, de lieux et de milieux, de pratiques et d’histoires vestimentaires. Ce sont les boîtes noires de nos enquêtes, nos boîtes de nuit.

Un jeune kleptomane qui opère travesti en femme. La règle vestimentaire d’un couvent du XVIIe siècle. Des couturières, dites « minuinettes », tenues de confectionner du jour au lendemain des habits de deuil sur le fil des lois du travail. Des tisseurs associant brillance de la soie et transparence de la cellophane pour doter les robes du soir d’un glamour inédit. Un photographe de mode en butte aux critiques du Vogue américain qui lui reproche un esthétisme d’un noir si sombre qu’il fruste les lectrices des
détails des vêtements photographiés. La délicate conversation des personnels de conservation avec les vêtements dont ils ont la charge dans les archives des maisons de couture. Des passants anonymes sauvés de l’obscurité par des photographes ambulants. Voilà ce qu’on découvre en ouvrant nos boîtes.

Ailleurs, on trouvera un fétichiste du bonnet de nuit, des élégantes en pyjama, des endormis rêvant de nudité, des noctambules en mal de nuits pendant le Covid-19, des policiers infiltrés dans les bals masqués de la IIIe République, à l’affût des indécences, un Honoré de Balzac bourreau de travail (nuit et jour) à la poursuite d’un absolu littéraire déchiffrable jusque dans sa robe de chambre. des comédiennes aguerries dans l’art de se coucher et se lever sur scène, des médecins du XIXe siècle disputant avec des « bandagistes » de l’efficacité des ceintures contre la masturbation, des héroïnes de fiction en mode Cendrillon se demandant comment être la-plus-belle-pour…, et de futures mariées comment s’habiller (et se déshabiller) le soir de leur nuit de noce.

Enfin, il y a « les » boîtes, les « vraies » boîtes de nuit. Les discothèques. Les freeparties et les multiples scènes du clubbing contemporain, dont un article tente la théorie à la lumière de Michel Foucault. À la fois avantscènes et caisses de résonnance des modes de leur temps. Faute de le transformer en dancefloor, elles donnent à ce numéro son ambiance sonore, sa sourdine, sa playlist : disco, house, dance, etc. Leurs noms suffisent à réveiller une époque et des figures : Le Palace, le Studio 54, racontés par des photographes témoins. Le Pulp et sa dame-pipi improvisant dans ses toilettes des shootings devenus iconiques. Et jusqu’à aujourd’hui, les optimistes soirées eurodance La Darude à Paris où l’historien ethnographe, fasciné par les interactions de la musique, des corps et des vêtements, se fait chasseur de papillons.

[note de la maison d'édition]

Published by École Supérieure des Arts Appliqués Duperré, 2023
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